UNITED NATIONS ECONOMIC COMMISSION FOR EUROPE
CONFERENCE OF EUROPEAN STATISTICIANS
Workshop on Ethics in Modern Statistical Organisations
26-28 March 2024, Geneva, Switzerland
26 février 2024
Éthique et pratique, pratique de l’éthique, l’exemple de l’Insee
Mylène CHALEIX (INSEE, France) - e-mail : [email protected]
Olivier LEFEBVRE (INSEE, France) - e-mail :[email protected]
Résumé
Créé en 1946, l’Insee a reçu pour mission de développer et de diffuser une information statistique pour
éclairer le débat économique et social au service de la démocratie. Pilier de son mandat, la loi statistique de
1951 sur le secret, la coordination et l’obligation statistiques porte les valeurs du service statistique public
français. En particulier, dès son origine, elle établit un équilibre entre les conditions de collecte des données et
les modalités de leur protection.
Mais au-delà de son inscription dans le droit, ou dans les programmes de formation initiale, l’éthique se doit
d’être inscrite dans les pratiques quotidiennes de chacun. À cet égard, l’organisation retenue pour la statistique
publique française est de donner au statisticien une responsabilité de bout en bout sur son processus, qui inclut
la production du résultat final, mais aussi le respect des valeurs de la statistique publique. De la conception à
la diffusion des données et des études, le statisticien va rencontrer des interlocuteurs à de nombreuses
occasions qui vont le (re)questionner sur les mesures prises pour y concourir :
opportunité de lancer une opération statistique, accès aux données (existantes ou mise en place d’une
enquête),
conformité aux bonnes pratiques de la statistique européenne,
déclarations RGPD pour les données individuelles,
conditions d’accès des chercheurs aux données produites,
traitement du secret statistique en diffusion,
mais également sur les enjeux informatiques (conduite de projet, homologation, sécurisation des accès
et des postes de travail).
Ces différentes étapes permettent une assurance collective de la prise en compte de la déontologie du
statisticien public au plus près des travaux, tout en donnant du sens à ces questionnements. Conjuguées à une
politique de mobilité des agents entre les différents services statistiques, elles renforcent à la fois
l’appropriation par chacun et le croisement des approches, apportant une sécurité renforcée à l’ensemble.
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Éthique et pratique, pratique de l’éthique, l’exemple de l’Insee
La pratique de l’éthique à l’Insee et dans le service statistique
public français résulte d’un équilibre entre les idéaux et les
réalités, entre les procédures et leur adaptation aux circonstances,
entre la théorie et la pratique. Comme à bicyclette, cet équilibre
n’est viable que s’il s’accompagne de mouvement, en d’autres
termes que s’il est pratiqué au quotidien et si ses composants
s’adaptent en continu.
L’ensemble des agents de la statistique publique peut ainsi
s’appuyer sur un cadre juridique responsabilisant et protecteur,
mais aussi sur un corpus de valeurs professionnelles et de bonnes
pratiques régulièrement questionnées et confortées aux situations
réelles. Des procédures en balisent la mise en œuvre, tout en
restant assez adaptables pour tenir compte de circonstances
exceptionnelles. L’organisation de l’Insee permet des échanges
réguliers entre collègues, leur permettant de trouver des réponses
à leurs questions, et de trouver les bons équilibres permettant de
s’inscrire dans chacune de ces valeurs.
Le cadre juridique et organisationnel à l’Insee, porteur des valeurs de la
statistique publique
L’Institut national de la statistique et des études économiques - l’Insee - a été créé par la loi de finances du 27
avril 1946, reprenant alors une activité de statistique publique qui s’était exercée sans discontinuité depuis
1833. Dans le cadre de la loi statistique française de 1951, il a pour mission de collecter, analyser et diffuser
des informations sur l'économie et la société française sur l'ensemble de son territoire. Il coordonne le service
statistique public français.
Par rapport à la plupart des autres instituts nationaux de statistique, l’Insee présente deux spécificités
importantes : il réalise des études économiques et sociales, fondées sur les données qu’il produit, ainsi que des
prévisions économiques de court terme ; il gère des répertoires inter-administratifs de personnes et d’entités
économiques pour le compte de l’ensemble des acteurs. Une troisième particularité de l’Insee réside dans le
mode de formation de ses agents : la plupart des agents recrutés suivent une formation initiale en économie et
statistique, dans des écoles spécialisées qui forment à la fois les fonctionnaires de l’Insee et des cadres du
secteur privé.
Un environnement juridique national et européen, qui évolue pour s’adapter au contexte
et aux enjeux, sans perdre de vue les fondamentaux (donner un cadre pour la collecte de
données, garantir la pertinence des enquêtes et la protection des données)
Enjeu : garantir les équilibres collecte-utilisation-protection
L’Insee évolue dans un contexte juridique national, à la fois relativement ancien, donc bien ancré dans les
usages et pratiques, et évolutif, pour tenir compte des changements de contexte ou de besoins. La loi fondatrice
de cette activité statistique date de 1951. Initialement centrée sur les enquêtes, elle définit les règles du jeu en
matière de collecte (y compris les cas d’obligation de répondre), mais aussi d’opportunité (en lien avec le
besoin d’éclairer tel ou tel phénomène, et en l’absence de sources alternatives) et la protection des données
collectées (secret statistique). Elle s’est progressivement enrichie pour inscrire en droit l’indépendance
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professionnelle et pour prendre en compte de nouvelles modalités de collecte (utilisation de données
administratives et, plus récemment, de données détenues par des acteurs privés) tout en veillant à définir les
règles d’appréciation de l’opportunité de telles collectes et de la protection des données ainsi recueillies.
Concernant le traitement de données individuelles, celui-ci s’exerce dans le respect de la loi Informatique et
libertés de 1978, qui a également su évoluer pour s’adapter d’une part au Règlement général pour la protection
des données (RGPD), d’autre part aux nouvelles opportunités en matière d’appariement sécurisé de données
individuelles. La Commission nationale Informatiques et libertés (Cnil) est chargée d’informer et de contrôler
son application.
L’organisation de la statistique publique en France repose sur 3 piliers.
La loi de 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret statistique, révisée notamment par la loi de
modernisation de l’économie du 4 août 2008, a créé différentes instances qui jouent un rôle essentiel dans le
fonctionnement et la régulation des activités de la statistique publique :
le service statistique public (SSP), composé de l’Insee et de 16 services statistiques ministériels (SSM)
qui réalisent les opérations statistiques dans leur domaine de compétence ;
le Conseil national de l'information statistique (Cnis), organe de concertation entre producteurs et
utilisateurs de la statistique publique, chargé de suivre les travaux statistiques ; ses attributions sont
proches de celles que l’ESAC1 exerce pour la statistique européenne, même si son organisation est
différente,
l’Autorité de la statistique publique (ASP), chargée particulièrement de veiller à l'indépendance
professionnelle des statisticiens publics. C’est l’équivalent français de l’ESGAB2.
Insee
● Usagers (directs, indirects)
● Gouvernement/décideurs publics
ou privés
● Intermédiaires (relais d’information,
réutilisateurs …)
● Fournisseurs (répondants, données
administratives ou privées)
Garant indépendance,
rigueur méthodologique
et déontologie
Contrôles
Concertation
Opportunité
SSM Travail
SSM Santé/solidarité
SSM Éducation
SSM Recherche/Ens.sup.
SSM Culture
SSM Sécurité intérieure
SSM Défense
SSM Immigration
SSM Collectives locales
SSM Fonction publique
SSM Commerce extérieur
SSM Agriculture
SSM Environnement
Énergie/Logement
Transport/Dev. durable
SSM Justice
SSM Jeunesse/sports
SSM Finances publiques
Conformité
L’Insee a pour attributions de coordonner les méthodes, les moyens et les travaux statistiques du SSP et de
réaliser la cohérence des nomenclatures statistiques. La façon dont le SSP mène ses activités sont évaluées par
l'Autorité de la statistique publique. Le cadre de référence est celui défini notamment par le code de bonnes
pratiques de la statistique européenne (CoP).
Créés également par la loi de 1951, le Comité du label de la statistique publique et le Comité du contentieux
des enquêtes statistiques obligatoires interviennent sur les enquêtes respectivement sur la qualité et sur le
respect de l’obligation de réponse. Le Comité du label intervient également, à la demande de l’ASP, sur la
conformité des statistiques produites par d’autres organismes que ceux du SSP (avec des niveaux de conformité
dépendant des niveaux de labellisation demandés).
1ESAC : European Statistical Advisory Committee
2ESGAB : European Statistical Governance Advisory Board
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Une forte implication dans le partage des données dans le respect du secret statistique
Contrairement à plusieurs INS, l’Insee ne s’est pas vu confier une mission de « data stewardship » à l’échelle
nationale, mission que d’ailleurs il ne revendique pas. Mais il exerce des missions transversales en matière
d’administration et de partage de données, sur des publics, des types de données et des domaines bien
spécifiques. Une première mission de partage de données statistiques à l’échelle du service statistique public
(avec notamment la mise en place d’un identifiant individuel non signifiant interne à la statistique publique), ou
en direction de chercheurs, selon des conditions définies par une instance spécifique appelée Comité du secret
statistique. Une deuxième mission est de gérer un ensemble de nomenclatures, y compris géographiques, et de
concepts communs destinées à faciliter le partage de ces données. Une troisième mission, que l’on pourrait
qualifier de « statistics stewardship » consiste à diffuser très largement les données qu’il produit, en open data.
Enfin, l’Insee, de par sa gestion de répertoires inter-administratifs, exerce une mission « d’ID-stewardship »
non formalisée en tant que telle, mais qui permet de faciliter l’inter-opérabilité sémantique de fichiers
administratifs au moyen d’identifiants uniques et partagés.
La pratique de l’éthique au quotidien, à l’Insee, le résultat de plusieurs facteurs
Un corpus de bonnes pratiques, de valeurs essentielles
Enjeu : garantir la qualité, la réactivité, le concret
Ce cadre juridique et institutionnel complète un autre cadre, fait de valeurs professionnelles et de bonnes
pratiques. Par certains aspects, le premier a traduit le second en droit, en « rendant ces valeurs opposables »,
autant que de besoin (face à des questions nouvelles, des opportunités nouvelles, des enjeux nouveaux) ; par
d’autres aspects, on peut dire qu’il s’agit de formalisations cohérentes, et que les principes et valeurs permettent
à chacun de « garder du sens ».
On peut ainsi citer le code de bonnes pratiques de la statistique européenne, dont les 16 principes balisent
nombre de nos travaux, mais aussi les valeurs essentielles (core values) adoptées par l’Unece. Ce corpus se
projette dans la vie quotidienne des statisticiens à travers des illustrations, des comportements, des points
d’attention partagés. Avec pour but de maintenir un haut niveau de qualité, dans le respect de nos valeurs
essentielles, tout en restant réactifs face aux situations réelles et tout ce qu’elles comportent d’imprévus.
Des guides, procédures, audits, plans d’action, qui sont des aides pour la mise en œuvre
Enjeu : rester solides et ne pas perdre le sens
Au-delà de ces principes et de ces valeurs, les statisticiens publics s’appuient sur trois piliers. Le premier
concerne des méthodes partagées pour leurs actions, permettant d’en sécuriser la mise en œuvre. Le deuxième
s’exerce par le biais de procédures (pour les opérations courantes), de plans d’action (pour des améliorations ou
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la mise en œuvre d’investissements). Le troisième mobilise des audits destinés à apporter un regard externe au
processus sur nos pratiques, sous l’angle de l’efficacité (atteignent-elles le but recherché ?) ou de l’efficience
(avec les allocations optimales de moyens) ? L’enjeu est que l’ensemble des statisticiens disposent de repères
concrets et partagés pour la mise en œuvre de leurs travaux sans se laisser enfermer par des processus
totalement formatés, et puissent les évaluer et les faire évoluer.
Une organisation permettant à la fois une responsabilisation des concepteurs d’opération
et de chacun des acteurs, et des regards croisés sur chaque phase du processus
Enjeu : intégrer des apports divers sans diluer les responsabilités
L’Insee a adopté une organisation du travail qui responsabilise pleinement le concepteur d’une opération
statistique (de la collecte à l’analyse et la mise à disposition des premiers résultats) tout en lui apportant la
technicité, l’expertise et les regards extérieurs dont il a besoin pour mener à bien son opération, et pour
l’améliorer en continu s’il s’agit d’une opération récurrente. Le concepteur s’entoure d’experts du domaine
pour cibler la collecte d’information en fonction des attentes exprimées, puis d’experts en méthodologie ou en
design d’enquêtes (questionnement, protocole d’interrogation, usage ou non du multimode, échantillonnage),
d’architectes et de développeurs IT pour une mise en œuvre performante et sécurisée de la collecte et des
traitements ; il s’appuie sur des enquêteurs, puis des gestionnaires, pour ces opérations de collecte et de
traitement… Des points de passage (avis d’opportunité, avis de conformité statistique, homologation de
sécurité IT) permettent à des regards extérieurs de s’exprimer, de manière à améliorer le dispositif, ou, dans le
cas contraire, d’exprimer une opposition à sa mise en œuvre.
Une pratique permettant de s’adapter à des chocs extérieurs ou à des contextes
particuliers (sujets passionnels, questions sensibles, vigilance de l’opinion) sans sacrifier
à nos valeurs
Enjeu : savoir assouplir la règle quand il le faut sans en perdre l’esprit, ou savoir aller
plus loin que le cadre proposé.
Les procédures sont claires, juste assez contraignantes pour en garantir l’efficience (en évitant que chacun les
ré-invente) et assurer la transparence nécessaire, mais en gardant la possibilité de les adapter aux circonstances.
Ainsi, lors de la crise sanitaire, la statistique publique a été en capacité de réaliser une enquête auprès des
entreprises et d’en publier les résultats moins de 30 jours après l’expression de la demande. Des procédures
accélérées d’instruction en opportunité et en conformité statistique, alliées à un dispositif informatique souple
et sécurisé, ont permis de répondre rapidement à une question cruciale (comment les entreprises se sont-elles
adaptées au premier confinement ?) sans sacrifier la qualité ni la sécurité de la collecte et des traitements.
Un état d’esprit partagé autour des valeurs de qualité, confidentialité, indépendance
Enjeu : une boussole commune utilisée au quotidien
Pour que tout cela fonctionne de manière optimale, il est essentiel que chacun partage la vision des finalités des
opérations statistiques auquel il contribue, mais aussi des valeurs qui sous-tendent sa mise en œuvre, et de son
propre rôle dans la réalisation du dispositif.
Les valeurs font partie des enseignements reçus dans les écoles, puis elles infusent en continu au gré des
échanges entre collègues, des formations complémentaires, des actions de communication interne ou des
pratiques managériales. Un des enjeux est de relier des actes du quotidien, des travaux courants ou
exceptionnels à ces valeurs, de manière à les incarner. Le niveau de formalisation des valeurs est resté jusqu’à
présent minimaliste, mais il sera peut-être nécessaire dans l’avenir de l’augmenter pour répondre aux attentes
grandissantes des utilisateurs et faciliter la communication sur ces valeurs.
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En pratique, illustration avec le parcours classique d’une enquête de la statistique
publique
Tout projet d’enquête de la statistique publique doit faire l’objet d’un avis d’opportunité du Cnis qui s’assure de
l’intérêt général et de l’utilité des opérations statistiques présentées dans les programmes de travail. Cet avis,
émis par le président de la commission thématique dont relève l’enquête, permet de s’assurer qu’elle
correspond à un besoin d’intérêt public (principe de pertinence) et qu’elle ne fait pas double emploi avec
d’autres sources déjà disponibles - enquête statistique ou administrative, fichier de gestion, etc. (principe de
minimisation de la charge des répondants).
Pour pouvoir être réalisé dans le cadre de la loi du 7 juin 1951, tout projet d’enquête statistique présenté par un
service producteur de la statistique publique doit obtenir un label d’intérêt général et de qualité statistique.
Après avoir reçu un avis d’opportunité, le responsable de l’enquête (au sein du service producteur) prépare un
dossier (qui reprend, depuis 2024, les principales rubriques du standard des rapports qualité orientés
utilisateurs, SIMS – Single Integrated Metadata Structure, complété par des annexes méthodologiques) et le
présente au comité du label de la statistique publique. Pour rendre son avis, celui-ci s’assure que l’enquête
répond aux critères de qualité statistique en ce qui concerne la concertation avec les utilisateurs, la méthode de
collecte et d’échantillonnage (plan de sondage, méthode de redressement des données, traitement des non-
réponses garantissant la fiabilité des résultats…), de pertinence du questionnement et d’adaptation de la
diffusion aux objectifs annoncés. Le dossier comporte également les résultats des tests du questionnaire. Il
s’assure également que l’enquête n’entraîne pas de charge excessive sur les enquêtés, qu’une concertation a été
menée avec les partenaires concernés et que les souhaits exprimés par le Cnis lors du débat d’opportunité ont
bien été pris en compte.
Lors de la conception, le responsable d’enquête peut s’appuyer sur les experts des différentes unités
transverses :
pour la conception de son questionnaire (département des méthodes statistiques) et les spécialistes du
domaine (internes ou externes au SSP) ;
pour l’échantillonnage (département des méthodes statistiques) ;
sur l’organisation de son enquête (divisions de maîtrise d’œuvre des enquêtes) ;
sur la définition des produits de diffusion (direction de la diffusion et de l’action régionale) et le
traitement de la confidentialité (département des méthodes statistiques) ...
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Illustration avec TEO : enquête Trajectoires et Origines (éditions 2008 – 2019)
L'enquête Trajectoires et Origines (TeO) a pour objectif d'appréhender l’impact de l'origine géographique sur
l'accès aux différentes ressources de la vie sociale (logement, langue et éducation, emploi, loisirs, services
publics et prestations sociales, contraception, santé, nationalité, réseau de relations, marché matrimonial,
etc.). Elle s'intéresse à l'articulation entre l'origine et les autres catégories de distinction dans la société
française (genre, classe, âge, quartier, etc.) afin d'analyser les processus d'intégration, de discrimination et de
construction de l’identité au sein de la société française dans son ensemble. La seconde édition de l’enquête
(TeO2), réalisée en 2019-2020, permet d’actualiser les résultats issus de la première enquête (TeO1) sur ces
différents thèmes dix ans après.
Suite à une forte demande publique de disposer d’informations sur les immigrés et leurs descendants et leur
intégration (absence d’informations dans les données administratives ou dans le recensement), l’Insee et l’Ined
(Institut national d’études démographiques, organisme public de recherche) se sont associés pour proposer une
enquête originale sur les trajectoires et les origines. La particularité de l’enquête est de s’intéresser à des
thématiques classées comme sensibles pour la loi Informatiques et libertés. Il s’agit en particulier des
thématiques en relation avec les origines raciales ou ethnique, la religion, la santé ou encore la vie citoyenne
(opinions politiques, engagement syndical).
La première édition a donné lieu à la constitution d’un groupe de travail pluridisciplinaire (statisticiens,
démographes et chercheurs) pour la conception du questionnaire entre 2006-2007 (avec focus group et test
terrain), à une consultation des associations concernées, des échanges au sein du Cnis sur la sensibilité des
données (mai et octobre 2007) en complément des étapes habituelles d’opportunité et de conformité. L’avis de
la Cnil a également été recueilli.
Portée à nouveau par la demande publique, une réédition a été inscrite au programme des enquêtes. Lors de la
préparation de TeO2 (2016-2019), les mêmes étapes ont été reproduites (groupe de conception, avis
d’opportunité ; de conformité, avis demandé auprès de la Cnil et inscription au RGPD) et leurs
recommandations ont été incluses dans le protocole : caractère expérimental pour l’enquête sur la 3è
génération ou possibilité de ne pas répondre sur les thèmes sensibles.
Au-delà des enquêtes, les services producteurs s’adressent également au Cnis pour accéder aux données
administratives (loi de 1951 - article 7bis) ou aux données privées (loi de 1951 - article 3bis) et obtenir un avis
d’opportunité. La question de la proportionnalité, qui n’est pas abordée par le prisme de la charge de réponse,
demande une attention particulière. En France, cette attention est portée par la loi Informatique et Libertés qui
précise que « les données collectées au regard d’un objectif déterminé doivent rester adéquates, pertinentes et
non excessives, la liste des données doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire pour répondre à l’objectif
annoncé ». Avec le développement d’identifiants statistiques et la mise en place prochaine d’applicatifs dédiés,
les réflexions sont en cours sur la mise en place d’une procédure concernant les appariements afin de maîtriser
les objectifs et là encore de limiter les informations appariées aux seules données nécessaires.
Autres garde-fous sur la confidentialité et sécurité des données
L’AIPD une procédure au service de la protection des données individuelles
Le Règlement général pour la protection des données (RGPD), transcrit en droit français dans l’évolution de la
loi Informatique et libertés en 2018, impose à tout responsable de traitements des obligations Ces obligations
s’articulent pour l’essentiel autour de deux grands principes : un principe de transparence et un principe de
maîtrise et limitation des risques d’impact des traitements sur la vie privée des personnes concernées. Le
principe de transparence impose l’information des personnes, notamment quant à la finalité du traitement, aux
données mobilisées, à l’exercice de leurs droits et en réponse à leurs demandes, à la documentation des
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traitements (cf lettre-avis pour les enquêtés et informations sur insee.fr). Le responsable de traitement doit
également veiller à ce que le traitement mis en œuvre respecte bien les principes de nécessité, de minimisation
et de proportionnalité au regard des données traitées.
Cette déclinaison française du RGPD se concrétise par l’inscription de tout traitement de données à caractère
personnel dans un registre tenu par le service responsable du traitement et également une étude d’impact sur les
conséquences pour les personnes, en cas de risque avéré. Le registre des traitements décrit, pour chaque
traitement de données à caractère personnel, ses finalités et objectifs, les catégories de données mobilisées, les
catégories de personnes concernées, les acteurs impliqués (producteurs, destinataires, sous-traitants), les durées
de conservation. À partir de ce registre sont constituées des fiches descriptives des traitements, mises en ligne
sur insee.fr ou des informations communiquées directement aux enquêtés.
L’Analyse d’Impact relative à la Protection des Données (AIPD) est un outil qui permet de construire un
traitement conforme au RGPD et respectueux de la vie privée. Elle concerne les traitements de données
personnelles qui sont susceptibles d'engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes
concernées.
Pour mener une AIPD, il convient de :
1. délimiter et décrire le contexte du(des) traitement(s) considéré(s) ;
2. analyser les mesures garantissant le respect des principes fondamentaux :
la proportionnalité et la nécessité du traitement, et la protection des
droits des personnes concernées ;
3. apprécier les risques sur la vie privée liés à la sécurité des données
et vérifier qu’ils sont convenablement traités ;
4. formaliser la validation de l’AIPD au regard des éléments précédents ou bien décider de réviser les
étapes précédentes.
L’analyse d’impact sur la protection des données comporte une description du traitement, plus détaillée que ce
qui figure dans le registre des traitements. Elle traite également des éléments permettant d’apprécier la
sensibilité du traitement, au regard notamment de son échelle (toute la population ou un échantillon ?), des
variables traitées (notamment vis-à vis de leur sensibilité au sens du RGPD) et de la nature même du traitement
(implique-t-il un croisement de plusieurs fichiers ?). Y figure notamment une analyse des risques en termes de
sécurité des données ou d’atteinte à la vie privée, assortie d’éléments de remédiation.
Ce document est établi par une unité spécialisée de l’Insee, en lien avec le concepteur du traitement, qui
bénéficie ainsi d’une expertise indispensable quant à l’analyse de ces enjeux.
… et une autre procédure pour l’intégrité et la sécurité des données
La sécurisation des données à toutes les étapes du processus est également une préoccupation du statisticien
public, préoccupation grandissante avec la montée de la cybercriminalité. À l’Insee, les systèmes d‘information
font l’objet d’une homologation de sécurité, impliquant des experts de la direction du système d’information et
des experts externes. À nouveau, le processus va être « ausculté » mais cette fois sous l’angle de la sécurité
informatique : disponibilité, intégrité, confidentialité et traçabilité. Concernant les enquêtes, les outils de
collecte étant mutualisés dans une filière d’enquête, l’homologation d’une enquête s’appuie sur ce qui est fait
pour la filière.
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Source : CNIL
Mais être capable de sortir du cadre quand c’est nécessaire
Comment s’assurer de l’acceptabilité d’un projet sensible ?
Enjeu : la légitimité au-delà de la capacité à faire
L'Insee a lancé en 2021 un projet ambitieux appelé Résil qui vise à construire un répertoire statistique des
individus et des logements basé sur le couplage de diverses données administratives.
Concernant ce projet, l'Insee a la conviction que les enjeux juridiques et éthiques sont aussi importants que les
défis techniques et nécessitent une attention particulière, en s'appuyant pour cela sur des regards extérieurs. Au-
delà de la capacité technique et juridique à faire Résil, il fallait aussi acquérir la légitimité, à travers un
« mandat social ». Un processus ambitieux de consultation de la société civile a donc été mené sur ce projet, en
parallèle des travaux d'ingénierie statistique. Il s'est notamment appuyé sur un groupe de travail extérieur à la
statistique publique, qui a fonctionné de manière très intensive pendant 6 mois, de mai à octobre 2022. C’est
une démarche extra-ordinaire, allant au-delà des processus de concertation habituels, mais adaptée aux enjeux
très spécifiques du projet.
Le groupe ne s'est pas opposé au principe de Résil, en tant que répertoire à vocation exclusivement statistique
alimenté par diverses sources et permettant des appariements, et fait confiance à l'institution sur le plan
technique et déontologique pour le construire et le faire fonctionner dans les règles de l'art et le respect des
bonnes pratiques.
Cependant, il a considéré que compte tenu de la nature de Résil et du contexte actuel concernant l'utilisation des
données personnelles, marqué à la fois par une plus grande circulation de ces données et par une vigilance
accrue sur leur utilisation, il est nécessaire de fixer et de rendre visibles les règles du jeu, de s'appuyer sur des
regards extérieurs pour que différentes autorités ou agences nationales les garantissent et en fixent les limites. Il
a estimé également qu'il est essentiel de poursuivre dans la durée les efforts de transparence et de consultation
entrepris par l'Insee.
Cette expérience de concertation a été très prenante, mais très utile pour l’Insee, car elle a permis d'identifier
certaines craintes qui pourraient émerger à propos d'un tel système, certains défis en matière de communication
et de consultation sur Résil et l'utilisation de données externes, et d'améliorer la conception de notre projet.
Données sensibles
Enjeu : une collecte proportionnée
Savoir ne pas aller trop loin pour des raisons liées à l’acceptabilité sociale : sur l’exemple de TeO, les
exceptions prévues à la réglementation sur les données sensibles (sur les origines raciales ou ethniques
notamment) permettaient à l’Insee de recueillir une information sur la couleur de la peau avec un consensus
trouvé sur une auto-perception avec réponse libre sans catégories prédéfinies. Cependant le principe de ce
recueil faisait débat et, constatant que l’acceptation sociale de ce questionnement n’était pas assurée, l’Insee et
l’Ined ont préféré y renoncer.
Autre exemple avec Résil, certaines sources administratives envisagées n’ont pas été retenues suite aux
échanges dans le groupe de concertation, ce dernier ayant alerté sur les risques (proportionnalité et
acceptabilité). À cet égard, bénéficier d’un regard extérieur est un atout essentiel pour apprécier ce principe de
proportionnalité.
Et communiquer… sur nos valeurs
Dans le cadre de Résil, au-delà de la transparence et la collaboration avec les parties prenantes pratiquées lors
du groupe de concertation, il a été décidé de communiquer plus largement sur les valeurs sous-jacentes à la
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construction des répertoires également en mettant en avant l’indépendance professionnelle, la confidentialité, la
pertinence et l’impartialité.
En aval, encore des occasions de se poser des questions
Une fois les données collectées et traitées, d’autres occasions permettent au statisticien de se questionner sur la
pertinence des résultats et la documentation associée. On citera en particulier sur certaines enquêtes la mise en
place d’un comité d’exploitation associant au-delà de la statistique publique des chercheurs spécialistes du
domaine. Ce comité permet à la fois un regard extérieur sur les données et des échanges sur les premiers
résultats, ou encore sur le contenu et la documentation associée aux fichiers diffusés (fichiers de production et
de recherche FPR, cf. infra). Ce comité s’appuie généralement sur des personnalités déjà présentes dans le
comité de concertation mis en place lors de la conception ou de la refonte de l’enquête.
De nouveaux défis se posent lors de la diffusion des résultats : la prise en compte du
secret statistique pour la diffusion
Enjeu : trouver un équilibre entre open data et protection des données
Pour ce faire, le responsable d’enquête peut s’appuyer sur les experts de la division Méthodes et référentiels
géographiques pour assurer le secret statistique sur les tableaux produits, particulièrement prégnant pour les
enquêtes auprès des entreprises. Il peut également s’appuyer, en particulier pour la diffusion de données
localisées, sur les compétences des experts de la direction de la diffusion.
La loi de 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistique a instauré la mise en place
d’un Comité du secret statistique pour veiller au respect des règles du secret statistique et émettre un avis sur
les demandes de communication de données couvertes par le secret statistique à des fins de statistique publique
ou de recherche scientifique ou historique. Les données concernées peuvent avoir été collectées par voie
d’enquête statistique ou transmises au service statistique public à des fins d’établissement de statistique par des
administrations ou opérateurs privés. Le demandeur dépose un dossier expliquant la finalité de son étude,
justifiant la liste des données nécessaires, et après avis favorable, l’accès se fait généralement au CASD (centre
d’accès sécurisé) qui permet au demandeur de travailler sur les données et d’en extraire des résultats respectant
le secret statistique.
Une procédure simplifiée a été mise en place pour les chercheurs avec les fichiers de production et de recherche
(fichiers moins riches que ceux disponibles au CASD pour limiter les risques de ré-identification).
L’importance d’une culture partagée des personnels Insee
Les agents des corps de l’Insee suivent un cursus de formation initiale de haut niveau spécialisé en statistique et
en économie dans l’une des deux écoles du Groupe des écoles nationales d’économie et statistique (Genes) ou
au Centre de formation de l’Insee à Libourne (Cefil). Un programme de formation continue assure le
développement des compétences des agents tout au long de leur carrière. La formation n’est pas le seul levier
pour l’appropriation des valeurs éthiques de la statistique publique. La politique de mobilité permet aux agents
des corps de l’Insee de régulièrement élargir leur champ de compétence, en pouvant soit aborder différents
métiers au sein d’un même domaine, soit évoluer entre différents domaines d’activité. Ainsi, ils peuvent
démarrer leur carrière sur un poste d’expertise méthodologique avant de prendre la responsabilité d’une
enquête, ou le contraire. Ils sont également encouragés à travailler dans les services statistiques des ministères
et concourir à la diffusion des bonnes pratiques en matière d’éthique au sein de l’ensemble du service
statistique public.
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Conclusion
Le contexte dans lequel nous exerçons nos missions est en perpétuelle évolution. Il offre de nouvelles
opportunités, en termes d’accès aux données ou de traitement de ces données, il nous place en situation de
concurrence face à des producteurs de données désormais capables de produire leurs propres analyses ou
valorisations, il nous confronte à de nouveaux besoins de données ou d’analyses pour comprendre les
phénomènes démographiques, économiques ou sociaux.
Face à la concurrence, les exigences de pertinence et de qualité sont essentielles, ainsi que le strict respect de la
protection des données et de la transparence sur les traitements ; elles doivent s’accompagner d’un « faire
savoir » qui les valorise en même temps qu’il valorise la donnée elle-même. Nous devons apprendre à mieux
communiquer sur nos valeurs.
Les nouvelles opportunités nous confèrent de nouvelles responsabilités : il faut en faire le meilleur usage, tout
en respectant le cadre de nécessité et de proportionnalité et en assurant la transparence sur leur usage. C’est un
gage de la confiance que les citoyens comme les utilisateurs de nos données nous accordent.
Être réactifs et adaptables sans renoncer à nos valeurs ni à la qualité de nos productions implique plusieurs
exigences : technicité, expertise, qualité des outils de collecte, de traitement, de mise à disposition, existence de
processus éprouvés, mais aussi une vision partagée des finalités de nos travaux, permettant d’en optimiser la
mise en œuvre, de manière sécurisée, en fonction des circonstances tout en restant alignés sur nos valeurs. Il
s’agit de savoir faire du « sur mesure », en utilisant de manière optimale les « machines-outils », sans que le
processus se transforme en travail à la chaîne.
Tailor-made vs Taylor-made...
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Textes réglementaires
Loi n°51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret statistique
Décrets n°2009-250 du 3 mars 2009 modifié et n°2009-318 du 20 mars 2009 pour les missions de l’ASP, le
Cnis et les comités du label de la statistique publique, du secret statistique et du contentieux des enquêtes
statistiques obligatoires
Loi n°78-17 du 16 janvier 1978 relative à l’informatique, les fichiers et aux libertés
Règlement (UE) n° 223/2009 révisé du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 relatif à la
statistique européenne
Présentation de la statistique publique en France sur insee.fr
Bibliographie
Anxionnaz I. et Maurel F., Le Conseil national de l’information statistique : la qualité des statistiques
publiques passe aussi par la concertation, in Courrier des statistiques n° 6 (juillet 2021)
Roth N. et Christine M., Le Comité du label : un acteur de la gouvernance au service de la qualité des
services publics, in Courrier des statistiques n° 5 (décembre 2020)
Bureau D., L’Autorité de la statistique publique : dix ans d’activité, pour une statistique indépendante
et de qualité, in Courrier des statistiques n° 5 (décembre 2020)
Redor P., Confidentialité des données statistiques : un enjeu majeur pour le service statistique public, in
Courrier des statistiques n° 9 (juin 2023)
Tavernier J.-L., Un système statistique intégré à l’administration centrale, in Courrier des statistiques
n° 1 (décembre 2018)
Isnard M., Qu’entend-on par statistique(s) publique(s) ? , in Courrier des statistiques n° 1 (décembre
2018)
Lefebvre O. Towards a "social mandate" for the French project of a statistical directory of individuals
and dwellings by France - Unece (juin 2023)
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- Éthique et pratique, pratique de l’éthique, l’exemple de l’Insee
- Éthique et pratique, pratique de l’éthique, l’exemple de l’Insee
- Le cadre juridique et organisationnel à l’Insee, porteur des valeurs de la statistique publique
- Un environnement juridique national et européen, qui évolue pour s’adapter au contexte et aux enjeux, sans perdre de vue les fondamentaux (donner un cadre pour la collecte de données, garantir la pertinence des enquêtes et la protection des données) Enjeu : garantir les équilibres collecte-utilisation-protection
- Une forte implication dans le partage des données dans le respect du secret statistique
- La pratique de l’éthique au quotidien, à l’Insee, le résultat de plusieurs facteurs
- Un corpus de bonnes pratiques, de valeurs essentielles Enjeu : garantir la qualité, la réactivité, le concret
- Des guides, procédures, audits, plans d’action, qui sont des aides pour la mise en œuvre Enjeu : rester solides et ne pas perdre le sens
- Une organisation permettant à la fois une responsabilisation des concepteurs d’opération et de chacun des acteurs, et des regards croisés sur chaque phase du processus Enjeu : intégrer des apports divers sans diluer les responsabilités
- Une pratique permettant de s’adapter à des chocs extérieurs ou à des contextes particuliers (sujets passionnels, questions sensibles, vigilance de l’opinion) sans sacrifier à nos valeurs Enjeu : savoir assouplir la règle quand il le faut sans en perdre l’esprit, ou savoir aller plus loin que le cadre proposé.
- Un état d’esprit partagé autour des valeurs de qualité, confidentialité, indépendance Enjeu : une boussole commune utilisée au quotidien
- En pratique, illustration avec le parcours classique d’une enquête de la statistique publique
- Autres garde-fous sur la confidentialité et sécurité des données
- L’AIPD une procédure au service de la protection des données individuelles
- … et une autre procédure pour l’intégrité et la sécurité des données
- Mais être capable de sortir du cadre quand c’est nécessaire
- Comment s’assurer de l’acceptabilité d’un projet sensible ? Enjeu : la légitimité au-delà de la capacité à faire
- Données sensibles Enjeu : une collecte proportionnée
- Et communiquer… sur nos valeurs
- En aval, encore des occasions de se poser des questions
- De nouveaux défis se posent lors de la diffusion des résultats : la prise en compte du secret statistique pour la diffusion Enjeu : trouver un équilibre entre open data et protection des données
- L’importance d’une culture partagée des personnels Insee
- Conclusion